Dark Light

Saint Nazaire vu par Mahmoud Tawfiq

by Mahmoud Tawfik, Marie-Hélène Avril-Hilal

C’était ma première expérience de résidence littéraire. J’avais prévu de travailler sur mon premier roman, consacré aux Arabes en exil. La première semaine, j’en ai d’abord profité pour me reposer du bruit du Caire. Je ne voulais pas me mettre trop de pression.

J’aime les villes, je suis un voyageur urbain. Saint- Nazaire est une ville intéressante. Mais c’est très calme. Et c’est une ville qui a été détruite par la guerre. J’ai vu des villes plus inspirantes, c’est sûr. Et pour tout dire j’appréhendais un peu de m’ennuyer, ce qui n’a pas été le cas. La vie culturelle y est au-dessus de la moyenne. Il y a par exemple trois théâtres. Dans une ville de 75.000 habitants, c’est beaucoup. Et puis il y a l’océan.

Le deuxième jour après mon arrivée, c’était le 7 janvier, le jour de l’attentat contre le journal Charlie Hebdo. Je me suis retrouvé à une manifestation. C’était bizarre pour moi parce que j’essayais à ce moment là de me tenir le plus possible à l’écart de l’actualité pour me concentrer sur mon travail. Mais tout le monde ne parlait que de ça. J’ai été agréablement surpris par les propos tenus par les Français avec qui j’ai eu l’occasion d’en parler : certains étaient très critiques de la récupération nationaliste qui était faite des événements. Or, pour moi, qui viens d’Égypte, où l’on vit dans un état de patriotisme perpétuel, le sujet est familier.

Je dois dire que j’ai été surpris par le niveau de conscience politique ambiant, Manuel Valls a notamment parlé d’apartheid dans l’un de ses discours… Il y avait une forte remise en question du sens de la formule « Je suis Charlie », par exemple. J’ai entendu dire « Bien sûr que je suis contre le terrorisme mais est-ce que pour autant je suis Charlie ?». Etonnamment, cette expérience m’a redonné confiance dans les médias occidentaux.

Quelques jours après Charlie, j’ai réussi à revenir à ma routine habituelle. J’ai été très productif dans mon travail, je n’avais pas grand chose d’autre à faire. Dans tout autre endroit, il aurait sans doute été beaucoup plus difficile de ne pas se laisser distraire. C’était parfait dans ce contexte. Je suis venu pour écrire les derniers chapitres de mon roman. Depuis cinq ans, j’ai pris l’habitude de travailler le matin. Le reste de la journée, au Caire, je suis journaliste.

Mon roman s’appelle Les Arabes n’achètent pas de fleurs. À ce stade, je préfère ne pas rentrer dans les détails. Ce que je peux dire c’est que ça se passe chez un fleuriste du quartier arabe de Berlin. Il va faire à peu près 200 pages. Pour moi, l’arabe, c’est la langue de la fiction. Et l’allemand – car je suis aussi d’origine allemande -, la langue de la rationalité : essais, journalisme.

Mon recueil de nouvelles Bleu a été traduit par le DEAC, ici, au Caire. C’était l’occasion d’être confronté à un public qui lit dans une autre langue, notamment dans le cadre d’une rencontre à l’Institut français d’Alexandrie. À Saint-Nazaire aussi, j’ai participé à des séances de lecture. J’ai été très étonné par la session de questions-réponses. Il n’y a eu qu’une seule question sur Charlie et beaucoup de questions sur la situation politique en Égypte. La différence avec un public égyptien ? À Saint-Nazaire, c’était un public plus âgé que ceux auxquels j’ai l’habitude en Egypte, des gens dans leur quarantaine dans l’ensemble, qui ont l’habitude de lire. Il y a d’ailleurs eu beaucoup de questions sur le processus d’écriture en lui-même.

Un premier roman, c’est dur. C’est un peu comme une relation amoureuse, il y a de bonnes et de mauvaises phases. Pour les nouvelles, le travail était différent. Ça s’est fait petit à petit, sur trois ans. Avec le roman, il faut apprendre à travailler avec ses insécurités sur du long terme.

Quand j’aurai fini, j’envisage de prendre six mois off, sans écrire. J’ai d’autres projets en tête. Je pourrai consacrer plus de temps à mon groupe car j’écris aussi des chansons. Et puis je réfléchis à me lancer dans la fiction en allemand…

Premier livre

Depuis 2013, le programme de traduction « Premier Livre » du Bureau du livre de l’Institut français vise à promouvoir de nouveaux courants littéraires égyptiens. Chaque mois, un jeune écrivain égyptien est invité à présenter son premier ou deuxième ouvrage de fiction, roman ou recueil de nouvelles, auprès du public francophone de l’Institut. L’occasion pour les écrivains émergents d’échanger avec un public de lecteurs… Ce rendez-vous régulier permet également de valoriser la nouvelle création littéraire égyptienne auprès des éditeurs français, ouvrant la voie à une possible traduction et publication en France.

L’édition 2014 s’était conclue avec la nomination du premier lauréat du prix « Premier Livre », Mahmoud Tawfik, auteur du recueil de nouvelles Bleu (éditions Merit, 2013). À titre de récompense pour ce prix littéraire, Mahmoud Tawfik a été invité par l’Institut Français d’Égypte à un programme de résidence d’écriture d’un mois, à la Maison des écrivains et des traducteurs étrangers (MEET), à Saint-Nazaire (France) en janvier 2015 pour travailler sur son premier roman Les Arabes n’achètent pas de fleurs. Mahmoud Tawfik a accepté de livrer à Rowayat ses impressions sur cette première expérience de résidence littéraire.

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