Dark Light

Entretien avec Gilbert Sinoué

by Isabelle Mayault

Comment avez vous abordé le travail pour votre premier roman ?

J’avais 37 ans. J’ai eu un déclic en lisant un livre sur l’histoire de la chrétienté. Cent ans d’histoire du Vatican, quelque chose comme ça. Je suis tombé sur le personnage de Calixte, cet esclave devenu Pape et j’ai tout de suite voulu écrire sur lui. Au préalable, dix ans plus tôt, j’avais écrit un premier manuscrit qui avait été refusé. On m’avait reproché mon manque d’originalité. À juste titre d’ailleurs. C’était l’histoire d’un Égyptien de l’Antiquité qui débarquait pendant la guerre des Six Jours, un peu à la manière de H. G. Wells. J’ai été tellement découragé qu’il m’a fallu dix ans pour avoir à nouveau le déclic. Avec Calixte, j’avais l’impression de tenir un sujet. J’ai mis trois ans pour arriver au bout de ce roman. C’est un pavé et j’écris très lentement.

Quelle est votre discipline de travail ?

J’ai un rythme quotidien. J’écris tous les jours entre sept heures du matin et dix-huit heures. En prenant des pauses, quand même ! Longtemps, j’ai été musicien, auteur compositeur et professeur de guitare classique. Et puis, j’allais avoir quarante ans. J’ai tout arrêté pour me consacrer à l’écriture. Il faut dire que j’ai eu de la chance : ma femme faisait bouillir la marmite et à l’époque, nous n’avions pas d’enfant. C’est ce que j’avais envie de faire depuis seize ans, je me suis lancé. Plus jamais depuis je n’ai écrit une seule chanson. On m’a sollicité pour une comédie musicale. Mais je ne peux plus rien faire d’autre qu’écrire.

Quelle est votre méthode de travail pour les romans historiques ?

Avant Internet, je fréquentais la Bibliothèque nationale. Je devais faire des tonnes de photocopies pour mes recherches. C’était extrêmement long et compliqué. La loi interdisait notamment les photocopies de certains ouvrages précieux. Avec Internet, j’ai accédé à des livres du monde entier. Jamais je n’aurais pu écrire Le Cri des Pierres sans cet accès.

Quels sont vos pères littéraires ?

J’ai des références très hétéroclites. Je continue d’adorer Stefan Zweig. Marcel Proust m’emmerde. André Gide a dit : « La vie est trop courte et Proust est trop long ». (Il rit).

Et parmi les auteurs arabes ?

Je ne lis plus l’arabe. Bien sûr, j’ai été tenté de lire Naguib Mahfouz et Rifa’a al Tahtawi, mais en arabe, j’ai beaucoup de mal, et avec une traduction, je suis mal l’aise. Ceci dit, j’adore Sonallah Ibrahim et Gamal el-Ghitani.

Quel est votre rapport à la langue arabe?

J’ai connu une époque où l’arabe était enseigné en seconde langue. Ça a été le cas en Égypte jusqu’à ce que Nasser arrive et dise ” Vous êtes fous “. À la maison, on parlait français. J’ai mal appris. Je le regrette.

Comment décidez-vous d’écrire un roman policier plutôt qu’un roman historique, un roman historique plutôt qu’un roman policier ?

Les sujets viennent à moi. Les deux fois où j’ai été amené à écrire des livres de commande, ça a été une catastrophe. C’est pourquoi les thèmes que j’aborde sont si divers. Je lis beaucoup. Je suis un affamé de l’information. L’inspiration peut venir de n’importe quel format : un film, un documentaire, une affiche. Je suis un voleur, toujours à l’affût.

Avez-vous jamais douté de votre légitimité à écrire sur tel ou tel sujet ?

Oui, pour Erevan. J’y pensais, mais je n’osais pas puisque, n’est-ce pas, je ne suis pas Arménien. C’est en voyant à la télévision, un jour, que la Turquie entrait dans le marché commun européen que je me suis lancé.

Ce serait donc la colère, votre moteur pour écrire ?

Oui, l’hypocrisie du monde de façon générale. J’ai écrit Un Bateau pour l’Enfer après avoir vu un documentaire sur Arte. C’est l’histoire de ce bateau allemand, parti en direction de Cuba avec des juifs à bord, qui se retrouve coincé en mer quand Cuba refuse de les prendre et que le capitaine, un nazi, tente de les sauver. Ils ont erré des semaines en mer. Personne ne voulait d’eux. À l’époque, le monde était halluciné à l’idée d’accueillir un demi-million de juifs. Le Premier Ministre canadien a dit :      « Un juif seulement, ce serait un juif de trop ».

Comment vous est venue l’idée d’écrire sur Gandhi et son incroyable relation amoureuse avec un architecte juif allemand en Afrique du Sud ?

Je suis fan de Gandhi. J’avais presque tout lu sur Gandhi depuis l’âge de vingt ans. Il y a trois ans, la correspondance entre Gandhi et cet architecte a été vendue aux enchères et rachetée par les Indiens, qui ont mis en ligne les lettres. Leur lecture m’a immédiatement inspiré un livre sur cet aspect méconnu de sa vie.

Quel type de lettres de lecteurs recevez-vous?

Je me suis fâché avec un ami de quarante ans parce que j’ai écrit dans Le Cri des Pierres que sa famille avait vendu des terres à des juifs. Parallèlement, j’ai reçu des lettres de menace d’un pro-israélien. Donc, avec ce livre, j’ai réussi à me mettre à dos les deux camps. Ceci dit, j’ai reçu beaucoup de lettres d’Arabes, d’orientaux qui me témoignent leur reconnaissance. Certaines lettres sont très émouvantes. J’ai aussi reçu deux ou trois lettres de juifs qui estiment que j’ai été très juste dans ma description de la Palestine. J’en tire une certaine fierté.

Sur quels projets travaillez-vous actuellement?

Cette année, je fais de l’alimentaire. Mais je travaille aussi sur la documentation en vue d’écrire le tome 3 d’Inch’allah… Je ne voulais pas le faire et puis, avec l’actualité de l’été dernier, j’ai changé d’avis!

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